Rendez-Vous Ancestral : Rémi Maxime, la Guerre de Crimée…
Le temps n'est pas propice à la promenade, pourtant, les quais parisiens m'attirent toujours, surtout au niveau de la Conciergerie…
Je suis fascinée par ce superbe bâtiment, je le regarde depuis le bord du Pont Neuf, quai François Mitterrand. Je poursuis mon chemin par une halte au pied de la Tour Saint Jacques, au milieu du parc du même nom, le long du Boulevard Sébastopol et je fais une pause au Café-Livres. Un bon chocolat chaud, entourée de livres, je regarde la Tour…
La nuit tombe, les lumières de Noël brillent de mille feux et une voix me susurre "Sébastopol, Sébastopol, Séba…". Et oui, j'ai bien entendu, mais pourquoi ce nom de Boulevard de Sébastopol ? Je jette un rapide coup d'œil autour de moi et je découvre un livre sur la Guerre de Crimée.
- Pas besoin de livre, je vais te raconter…
- Je veux bien mais qui es-tu, pourquoi moi ?
- Toi parce que tu fais partie de ma famille, oh, pas directement, mais tout de même ! Tu pourras leur dire …
- Vas-y, je t'écoute…"
Je m'appelle Rémi Maxime BAN et je suis parti à l'armée le 1er octobre 1854, pour cinq ans m'ont-ils dit. Tout de suite, comme Napoléon III s'est acoquiné avec les Anglais pour combattre les Russes, je suis envoyé, avec beaucoup, beaucoup d'autres soldats, à Sébastopol. Je ne sais même pas où c'est réellement ! J'ai pris un bateau à vapeur sur lequel il y a déjà au moins trente hommes atteints par le choléra alors que nous mettons pied à Malte ! Ils sont débarqués et laissés au lazaret. Le bateau repart pour Smyrne, deux jours de voyage, et deux soldats, cholériques, furent jetés par-dessus bord… Nous sommes tous là, entassés sur le pont, à la chaleur torride de la journée et au froid et à l'humidité de la nuit. A neuf heures du soir, nous recevons un verre de vin chaud et à quatre du matin, une infusion de thé. A Smyrne, les plus malades sont débarqués, abandonnés là. Le bateau repart en longeant les côtes de l'Île de Ténédos, où sont les tombeaux d'Ajax, Hector et Achille.
Enfin, le bateau entre dans les Dardanelles. Pas loin d'Abydos, les Anglais construisent un hôpital, un peu plus loin, deux autres hôpitaux, un anglais à 300 lits, l'autre français à 420 !
Nouvelle escale à Galipolli. Le voyage reprend et nous traversons la mer de Marmara, l'aube nous laissant découvrir Sainte Sophie de Constantinople. L'hôpital français accueille principalement des malades de Crimée atteints de problèmes intestinaux, de fièvres et de scorbut.
Dernière étape en direction de Sébastopol… La navigation est difficile : pluie, vent… Mais, enfin, nous mettons pied en Crimée ! Fin du voyage !
Fin du voyage mais début d'une terrible guerre ! D'ailleurs, les guerres ne sont-elles pas que terribles ?... Le vent, déchaîné, accompagné de pluies torrentielles, renverse les baraques et toutes les installations provisoires. Heureusement, le vent, après les pluie, sèche le terrain qui est boueux par manque d'écoulement de l'eau… Le vent, quelle aubaine ! Il renouvelle l'air dans les camps, il chasse les miasmes des corps en putréfaction, il ralenti les effets du typhus, et nous épargne de la peste…
Mais, n'oublions pas le pourquoi de ma présence en Crimée : la guerre ! Faire la guerre ! A peine le pied à terre, il faut partir à l'assaut, encore et toujours. Cela va durer onze mois dans sa totalité, du 9 octobre 1854 au 11 septembre 1855, et dix pour mois. Quelle longue année ! Que la France est loin, combien elle me manque ! Combien ma famille me manque ! Maintenant, c'est la trêve, c'est la paix, je vais rentrer, enfin, j'espère rentrer…
Un matin, je me réveille avec la fièvre, la diarrhée. Un passage à l'infirmerie, quelques décoctions et cela doit aller me dit le médecin chef. Mais mon état empire et, le 6 décembre 1855, j'entre à l'Ambulance de la 2ème Division du 1er Corps. Je souffre, j'ai soif, j'ai chaud, je sais ! Je sais que je ne reverrais pas ma Patrie !...
Aujourd'hui c'est Noël ! Tous les catholiques fêtent une naissance, LA naissance, mais moi, je sens que je pars. Je vais rester à jamais dans ce pays, il m'a pris à ma famille, il m'a prit à mon pays ! Ce n'est pas beau la guerre, je n'ai que vingt-et-un ans…
- Dis à ma famille combien je les aime !
- Je ne peux pas, ils sont tous morts tu sais !
- Ai-je eu des neveux, des nièces ?
- Oui, cinq neveux et deux nièces, un neveu est mort à la naissance mais tous se sont mariés et ont eu des enfants.
- Ah, mes chers parents auront été heureux alors ! Je peux partir tranquille, je peux dormir pour l'éternité… Merci à toi, dis à tous que ce n'est pas bien la guerre !
La Guerre de Crimée, si elle a servi d'enseignement pour la science militaire, elle a aussi offert un champ d'observations bien vaste, souvent bien triste aussi. Elle a fourni l'occasion quelques fois de résoudre de graves problèmes d'hygiène, de médecine, de chirurgie, restés incertains jusqu'alors. Lucien BAUDENS "La Guerre de Crimée : les campements, les abris, les hôpitaux, …"