Challenge UPro-G : Un annuaire, celui des anciens combattants de 1870-1871…
Le 2 mars 1916, un arrêté déclare la création officielle de l'Office National des Mutilés et Réformés de la Guerre, aujourd'hui l'ONAC. Cet office réunit l'office de la décentralisation et d'études institué auprès du Ministère de la Guerre, la commission instituée auprès du Ministère de l'Intérieur et l'office central de placement, institué auprès du Ministère du Travail…
1916 ! Le 2 mars 1916 ! Cela fait déjà dix-neuf longs mois que des soldats, des sous-officiers, des officiers meurent à la Guerre ! Enfin une cohésion dans cette administration vacillante dans son rôle de soutien de ces soldats qui reviennent mutilés, meurtris, perdus.
Mais, qu'en est-il des soldats morts, de ceux qui sont revenus de cette première guerre contre les Allemands : celle de 1870 ? A vrai dire… Rien ! L'état n'a rien fait, n'a rien reconnu. Alors, les anciens militaires ont créé leurs propres associations afin d'être groupés, de se reconnaître dans le monde qui les entoure. Ce monde, qui, de tout temps et encore maintenant qui peut subir la guerre : parce qu'il habite dans une zone de guerre, parce qu'il a un être cher qui participe à cette guerre mais qui n'y participe pas. Il ne peut pas comprendre ce monde-là ! Il ne peut pas savoir… Alors comment lui expliquer ? Comment parler des horreurs, des souffrances ?
C'est en se réunissant entre eux qu'ils peuvent parler de ce monde inconnu des "autres". Mais ces associations font peur au gouvernement encore non assuré d'une paix durable.
L'union des Anciens Combattants de la Ferté-sous-Jouarre, Seine-et-Marne
Il existe des documents, en série R, aux archives départementales qui nous permettent d'avoir des listes d'anciens combattants de la Guerre de 1870. Oh, ces documents ne sont pas à profusion mais… J'ai donc consulté le document coté 3R73 aux AD77. J'ai été très surprise, trop surprise peut-être. Le premier document de cette cote est un … annuaire de 1897, des membres de l'Union des Anciens Combattants. Ce n'est pas une série de feuilles sur lesquels sont inscrits des noms mais bien un fascicule relié par l'imprimerie HURTEL et SACHY, de Meaux.
"Les membres d'honneur sont :
- M. MARCHAND Jean Baptiste, Chef de bataillon d'Infanterie de Marine, Thoissey (Ain)
- M. WOELFELL Alfred Louis, Lieutenant d'Infanterie de Marine, Pierrefontaine (Doubs)
- M. BRATIÈRES Louis Jean, sergent au régiment des Tirailleurs Soudanais, Montauban (Tarn-et-Garonne)
Composition du bureau :
- M. ROSSIGNOL, Commandant en retraite, Président,
- M. DUPÉTY, négociant, Vice-président,
- M. CARRETTE, négociant, Trésorier,
- M. FRANÇOIS, employé, adjoint au trésorier,
- M. MOTTA, épicier, Porte-drapeau,
- M. LEROY, Capitaine en retraite, secrétaire,
- M. QUOY, menuisier, assesseur,
- M. PRUD'HOMME, cordonnier, assesseur,
- M. PIERRAT Emile, rentier, chef de la section de Saacy."
S'ensuivent plusieurs pages avec les noms, le grade et le lieu de résident des nouveaux adhérents, les membres décédés et ceux rayés, exclus ou avertis, du canton de la Ferté-sous-Jouarre. Au 1er janvier 1898, l'Union des Anciens Combattants compte cent membres. Au 1er juin 1899, quatre nouveaux membres, deux décès, et dix démissionnaires ou exclus ou…, portent le nombre total des membres à 92.
Vu comme cela, il semblerait que les diverses associations d'Anciens combattants soient acceptées et ont une légitimité toute réelle. Que nenni ! Le gouvernement français a peur. Le Président du Conseil, Ministre de l'Intérieur, le 29 juillet 1902, s'adresse aux Préfets en ces termes :
"Mon attention a été appelée sur les inconvénients que peut présenter la tendance de certaines Sociétés de Vétérans à s'immiscer dans le domaine politique. Bien que ces sociétés ne dépendent en aucun façon du Ministère de la Guerre, et que, depuis la promulgation de la loi du 1er juillet 1901, elles n'aient même pas besoin, pour se constituer, d'une autorisation administrative, elles se trouvent placées cependant sous l'action morale du Gouvernement qui est tenu, à ce titre, de leur témoigner le plus grand intérêt et la plus vive sollicitude.
Cette action moral a l'occasion de se manifester, notamment, par le concours des autorités aux réunions de sections. Souvent, en effet, les généraux Commandants de Corps d'Armée sont sollicités d'assister en personne aux fêtes locales des Sociétés de Vétérans ou de s'y faire représenter par un officier supérieur, en l'autorité préfectorale, de son côté, est l'objet de la même invitation. […]"
Il est officiellement demandé aux Préfets de vérifier si les intentions des Sociétés de Vétérans sont "louables" ou, au contraire, si elles ne sont pas en train de fomenter contre le gouvernement. Sans retour des avis des Préfets, le Ministère de la Guerre n'autorisera plus les autorités militaires à répondre favorablement à ces invitations !
Nous sommes en 1902 ! La guerre est finie depuis le 10 mai 1871 : trente-et-une années se sont écoulées. Et nous ne sommes qu'à une petite douzaine d'années de la guerre suivante… Est-ce pour cela que dès le début des hostilités de la Première Guerre Mondiale, chaque ministère a songé à s'occuper des soldats qui mouraient, qui revenaient handicapés à jamais, autant physiquement que moralement ? Puis, en 1916, la réunion des trois organismes officiels en un seul amis fin à toutes possibilités de "gangrène" intérieure : les anciens combattants étant, désormais, sous le couvert du gouvernement et non plus d'associations…
Aujourd'hui 24 associations sont légalement autorisées et sont répertoriées au registre tenu par….l'Office National des Anciens Combattants !
La création en 1916 de ce qui deviendra l'Office des Anciens Combattants n'est due qu'à l'ampleur des pertes humaines (décès, mutilations, …) et au fait qu'il fallait, politiquement, prendre les associations en main…