Challenge AZ : WERNER Eugène Paul, fusillé de la Première Guerre Mondiale…
Lorsque la guerre se déroule au sein même des compagnies, cela complique tout ! N'auraient-ils pu être "groupés, unis" et combattre un seul ennemi ? Apparemment non !...
Eugène Paul WERNER naît le 20 juillet 1879 à Soissons, dans l'Aisne. Il est fils de Jean, vingt-cinq ans, mouleur, né au Luxembourg, et Eugénie Joséphine Magdeleine, vingt-ans, repasseuse, née à Marseille, dans les Bouches-du-Rhône. Il est le fils aîné d'une fratrie de six enfants, tous nés dans l'Aisne, les deux premiers à Villeneuve-Saint-Germaine et les deux derniers à Soissons :
- Henri Jean, le 6 juin 1881, décédé le 1er janvier 1885,
- Paul, le 2 juin 1882,
- Jeanne le 23 juin 1886, décédée le 14 avril 1891,
- Madeleine Louise Charlotte Désirée, le 9 novembre 1888,
- Marguerite Jeanne, le 8 juin 1891, décédée le 17 septembre 1893.
En 1898, Eugène Paul a une première condamnation pour coup et blessures : 25 francs d'amende.
Son père, Jean, décède le 7 mai 1898, laissant donc une veuve avec trois enfants âgés respectivement de 19 ans, 16 ans et 10 ans. L'année suivante, Eugène Paul est recensé avec sa classe à Soissons. Etant fils âiné de veuve, ayent été mère de six enfants, il est dispensé de faire le service. Sauf que… la loi oblige a au moins une année. Il est donc incorporé le 14 novembre 1900 au 67ème Régiment d'Infanterie et est envoyé dans la disponibilité le 29 septembre 1901, avec le certificat de bonne conduite.
En 1903, alors qu'il est sur Reims, dans la Marne, il écope d'une deuxième condamnation pour les mêmes motifs "coups et blessures", cette fois-ci il est condamné à six jours de prison. Deux plus tard, à Soissons, il réitère et écope d'une amende de 25 francs.
Mouleur comme son père, il part travailler sur Paris où il épouse, le 22 février 1908, Juliette Alphonsine FOY. Leur mariage légitime la naissance de deux garçons : Maurice, né le 7 janvier 1906 à Soissons, et Eugène Louis, né le 28 août 1907 à Paris. Deux naissances suivent : Joseph, le 25 juillet 1908 et Jean, le 31 juillet 1910. Il aurait été aisé de penser que cela aurait "calmé" les ardeurs de Eugène Paul, que non… Il s'est sûrment syndicalisé, ou en tout cas, très proche de ces idées-là, car il lisait plus que régulièrement le journal "La Bataille syndicale", journal syndicaliste révolutionnaire paru du 27 avril 1911 au 31 décembre 1915.
Et puis, le 1er août 1914, l'Ordre de Mobilisation générale rappelle les hommes en âge et en capacité de combattre. Eugène Paul WERNER, comme tous les autres, rejoint son régiment le 3 août. Il ne traîne pas, il ne rechigne pas : il répond à l'appel de la patrie. Le 16 décembre 1914, il passe au 30ème Régiment d'Infanterie. Le reste de la fiche matricule semble quelque peu erroné mais… Toujours est-il qu'au moment des faits, Eugène Paul est soldat de 2ème classe à la 19ème Compagnie du 302ème Régiment d'Infanterie.
Depuis quelques temps, il se fait remarquer par son esprit d'insurbordination et d'indiscipline. Tous les jours, il discute et bataille ferme avec son chef de section, le caporal RAMAUGER. Les deux hommes reçoivent quotidiennement leurs journaux : "La Bataille syndicaliste" pour Eugène Paul et "Le Gaulois" –Journal de la Défense sociale et de la Réconciliation nationale – et "La libre parole" pour le chef de section. Les idées sont radicalement opposées RAMAUGER essayait de le ramener vers des attitudes plus nationalistes… N'ayant pas gain de cause, RAMAUGER décide de le sruveiler, de l'avoir "à l'œil". Eugène Paul se tient toujours ans les limites de la faute, toujours en révolte, jugée sournoise par le commandement. Il discute pour un oui pour un non : lors d'une corvée, il emet des commentaires sur "le tarif du travail", sur "les salaires"… Ses camarades de compagnie ne le dénonçait jamais.
Et puis, le 27 mai 1915 ne ressemble pas aux autres jours : énervé, plus fatigué que la normale… ? Eugène Paul se rend à l'exercice du matin. Pendant le trajet vers le camp de manœuvre – comme si les soldats n'avaient pas assez d'exercices avec la guerre – il réussit à s'esquiver et rentre au cantonnement. Au cous de l'exercice de l'après-midi, le Sous-lieutenant FOURCADE lui dit que l'absence du matin sera sanctionnée par le Conseil de Guerre. Eugène Paul, dicsute, nie et, à l'ordre de se taire, répond par "C'est bien ça ! Voyant arriver de nouveaux chefs, on croyait assister à l'avènement de l'ère nouvelle, mais c'est encore pire qu'avec les autres !" et d'ajouter "Nous avons nos journaux et, après la Guerre, vous passerez en jugement devant le peuple !" L'énervement du Sous-lieutenant est à son comble et les propos "libres" fusent de part et d'autre. Ne pouvant obtenir le silence, l'officier fait conduite le soldat WERNER au poste de police. Eugène Paul continue ses propos "On trouvera toujours des fainéants pour emballer un camarade…"
Les faits auraient pu en rester là, mais non ! Le 30 mai suivant, au cours de la marche vers le camp de manœuvre – encore et toujours le même exercice – une discussion s'engage entre les deux compères, le soldat WERNER et le caporal RAMAUGER. Ni l'un ni l'autre ne sont jugés en état d'ébriété. La conversation va bon train jusqu'au moment où les éclats de voix se font entendre de tous : "Ce que tu me dis à moi, tu ne le dirais pas à un Lieutenant ou un Sous-lieutenant" dit le caporal, à quoi le sodlat répond "La même chose, si je suis dans mon droit". Dans le même temps, Eugène Paul WERNER envoie un gifle magistrale à son chef de section, qui, bien évidemment, va se plaindre au Lieutenant, qui rend compte au Chef de Bataillon. Ce dernier questionne tout le monde, mais WERNER en profite pour invectiver le Lieutenant en disant "Ah ! Cochon, tu veux me brûler mais je te brûlerai avant". Joignant le geste aux paroles, WERNER s'empare d'un couteau, saisit sa baïonnette, tente d'attraper un fusil. Mais, il est maîtrisé par un sergent et d'autres soldats puis est conduit à la prison.
C'est ainsi qu'Eugène Paul WERNER se trouve convoqué devant le Conseil de Guerre de la 67ème Division d'Infanterie le 12 juin 1915. Tous parlent, à peu près, le même langage. La seule différence réside dans les propos du commandement qui sont très sévères et qui tiennent compte du passé judiciaire civile du prévenu.
Pas de doute quant à l'issue du procès, le 12 juin 1915, la sentence tombe : peine de mort pour "De voie de fait, d'outrages en paroles et en gestes envers un supérieur pendant le service". Eugène Paul WERNER est exécuté à Trogny, dans la Meuse, le 14 juin 1915.
En 1938, alors qu'il doit être question de savoir si la veuve a droit à une pension pour son mari militaire en temps de guerre pendant plus de trois mois, personne n'est surpris de lire sur sa fiche matricule "Tué à l'ennemi à Troyon (Meuse) le 14 juin 1915 – Avis du Ministère de la Guerre du 14 juillet 1915 – Mort pour la France".
Voilà comment les désaccords politiques dans la Compagnie ont pris le dessus sur la Guerre ! Ironie du sort, Eugène Louis WERNER, le deuxième fils d'Eugène Paul, participe à la Seconde Guerre Mondiale et est fait prisonnier. Il sera interné au Stalag II A au camp de Neubrandenburg, en Allemagne…