Challenge AZ : NIEDERER Rodolphe, suisse fusillé de la Première Guerre Mondiale…
Les fusillés de la Première Guerre Mondiale ne sont pas tous des criminels mais le Code de Justice Militaire en vigueur est rigoureux et le temps de guerre ne permet pas la "tolérance" de la part des autorités en présence…
Rodolphe NIEDERER naît le 17 avril 1863 à Zurich, en Suisse. Il est fils naturel de Anna NIEDERER. Jusqu'à l'âge de 7 ans, il a été élevé par sa mère, ménagère. Sa mère n'ayant pas le sou, il a été placé chez un boucher à Horgen, près de Zurich. Il est allé à l'école de 7 à 12 ans et il a acquis une certaine instruction. A 12 ans, il a été placé comme apprenti chez un horticulteur à Dielsdorf, toujours près de Zurich. Il a travaillé en tant que jardinier chez l'un puis chez l'autre. Après avoir effectué son service militaire en Suisse, il est allé travaillé chez M. COMTE, maraîcher à Bar-sur-Aube. Il est connu des services de police de Bar-sur-Aube en 1885, le 26 novembre précisément, car il est arrêté pour vagabondage et écope d'une peine de prison de vingt jours. Il exerce la profession de jardinier mais est qualifié de "sans domicile fixe".
En 1888, il est parti à Bonn, en Allemagne, toujours jardinier, et il s'est expatrié aux Indes où il est resté 16 ans, et a effectué des travaux agricoles. Il a gagné et perdu beaucoup d'argent. Ruiné, il est rentré en Suisse en 1904. Il a exercé toutes sortes de métiers jusqu'à rencontrer sa future épouse, Franziska ABERLE, gouvernante allemande dans un hôtel. Grâce à elle, il s'est établi en tant que comptable jusqu'en août 1914. A nouveau désargenté, sans travail, trop âgé, malade, il subsistait grâce aux rentrées d'argent de son épouse.
C'est dans un café, fin avril 1915, qu'il rencontre M. SPEWER, sujet allemand. Un mot entrainant un autre, Rodolphe lui parle de ses déboires et lui dit qu'il parle plusieurs langues Français-Allemand-Hollandais-Belge. C'est alors que M. SPEXER lui propose de travailler comme interprète dans un camp de prisonniers de guerre en Allemagne. Il a donc tout naturellement accepté et, dès le lendemain, il demande un passeport suisse et un passeport allemand. Il est ensuite allé, accompagné du sieur SPEWER, à Saint-Louis, en territoire allemand. Là, il a rencontré un M. FUCHS, inspecteur de police. Les ordres suivants sont d'aller à Cologne où il recevrait d'autres instructions. Tous les rendez-vous se déroulent dans des hôtels. C'est à Cologne que les termes "renseignements" sont utilisés et Rodolphe NIEDERER se rend compte qu'il n'a jamais été question d'interprétariat, mais, sans argent, il a tout de même accepté les missions.
D'autant que les missions étaient simples ! La première, à Paris, consiste à observer les déplacements des troupes, noter les numéros des régiments sur le collet de la tenue, relever l'état de l'opinion publique. C'est à Paris, en conversant avec des garçons de café, qu'il a noté que les Français ne croyaient plus à une percée des lignes allemandes par les troupes françaises ! Pour cette mission, il a perçu 200 marks et 200 francs.
A Marseille, il devait observer les embarquements et les débarquements de troupes. Là, peu de renseignements car il n'y a pas eu de mouvements de troupes, hormis quelques hindous conduits par un officier anglais. Rodolphe a perçu 300 marks et 300 francs.
Pour la mission suivante, il lui a été conseillé de changer de trajet mais Rodolphe a été refoulé à Delle par le Commissaire de la gare car son passeport était "périmé". Souffrant, il est rentré à Zurich et a rendu compte ensuite de la mission non réalisée. L'officier allemand n'a pas été satisfait – il avait à nouveau perçu 300 marks et 300 francs – mais lui a tout de même confié une autre mission : aller en gare de Saint-Denis pour observer… Rien d'intéressant ! Par contre, à Paris l'opinion publique avait changé : l'espoir était revenu. Somme perçue : 200 marks et 200 francs.
Et puis, la mission suivante a été plus précise, plus périlleuse. Tout en choisissant son parcours, Rodolphe NIEDERER doit se rapprocher le plus possible du front. Après avoir reçu son "salaire", 300 marks et 300 francs, il est entré en France par Bellegarde. Arrivé à Paris, malade, il n'a pu accomplir sa mission et c'est au retour, le 12 août, qu'il a été arrêté.
Rodolphe NIEDERER est arrêté le 12 août 1915 par la Police de Bellegarde. Il est porteur de différents documents :
- Un billet aller- retour par le train Zurich-Genève,
- Un billet de retour Paris-Genève par Bellegarde-Ambérieu,
- Deux feuilles de papiers portant deux adresses de dames à Paris, Louise CORMAND, Paris 11ème, et Marcelle MONTEIL, chez Mme MAILLE, rue de Bercy,
- Deux passeports à son nom : un, français, et un autre, suisse.
Son passeport suisse, établi le 23 juin 1915, indique qu'il a commencé ses "voyages" en France, en juin 1915. C'est donc une activité toute récente que celle d'espion. L'attention a due être attirée par le fait que c'était "trop" souvent entre juin et août. Son passeport français, datant du 30 juin 1915, comporte la même photo et les mêmes renseignements.
Ses voyages étaient justifiés par le fait qu'il était "négociant" pour la Société Spada, fabrique d'appareils à gaz, et qu'il allait rencontrer M. Paul DUPUY, Ingénieur conseil à Paris. Donc, rien d'anormal au demeurant.
Etonnement, il avait, en autre document, deux livrets des horaires de trains de la Compagnie de l'Est : pas du tout en rapport avec son trajet Paris-Zurich-via Lyon. Sauf qu'il a expliqué, lors de son interrogatoire, qu'il devait varier les trajets et se rapprocher du front...
Le 17 août 1915, c'est donc bien pour "espionnage et tentative d'espionnage" qu'il est assigné à comparaître devant le Conseil de Guerre permanent du Gouvernement de Lyon le 20 août suivant.
Considérant que la publicité sur ce jugement nuirait à l'ordre public, il est ordonné le huis clos. Rodolphe NIEDERER relève de cinq accusations pour avoir, en 1915, sur le territoire français, recueilli et transmis aux services allemands :
- des renseignements sur l'état de l'opinion publique à Paris, (par deux accusations différentes),
- des informations sur les déplacements des troupes, notamment à Dijon et Bar-sur-Aube,
- des informations sur les embarquement et débarquements de troupes à Marseille,
- des informations sur les déplacements de troupes de matériels.
Les trois dernières accusations se portent sur des tentatives qui ont échouées. Ces tentatives d'espionnage se portant sur les mêmes thèmes de recherches de renseignements militaires à donner aux services allemands.
Au vu de la déposition très détaillée et précise de Rodolphe NIEDERER, le Conseil de Guerre le condamne à la peine de mort. En tout temps, en toute époque, être espion était un risque pour celui qui se lançait dans cette affaire… !
En tout temps, en toute époque, être espion est un risque pour celui qui se lance dans cette affaire ! Mais, aussi, en tout temps et en toute époque, les "démarcheurs" savent à qui ils s'adressent : pauvre personne comme Jean Camille MARCHAND, personne démunie comme Rodolphe NIEDERER, …