Challenge AZ : MARCHAND Jean Camille, civil fusillé de la Première Guerre Mondiale…
Les fusillés de la Première Guerre Mondiale ne sont pas tous des criminels mais le Code de Justice Militaire en vigueur est rigoureux et le temps de guerre ne permet pas la "tolérance" de la part des autorités en présence…
Jean Camille MARCHAND naît le 6 octobre 1868 à Dannevoux, dans la Meuse. Il est fils de Barthélémy, vingt-sept ans, vigneron-propriétaire, et Elizabeth Héloïse LOYAL, vingt-six ans, sans profession. Il est le premier enfant du couple Barthémy-Elizabeth, ces derniers s'étant mariés, dans la même commune, le 10 juillet 1867. Après la naissance de Jean Camille, rien, aucun acte ne concernant cette famille dans la commune de Dannevoux…
Jean Camille réapparaît dans un dossier de jugement du Conseil de Guerre de la 40ème Division d'Infanterie.
Le 4 septembre 1914, deux soldats réservistes du 161ème Régiment d'Infanterie se présente à la Prévôté de la 40ème Division d'Infanterie en compagnie d'un "individu" qu'ils ont eux-mêmes arrêté. Il aurait conduit deux officiers uhlans en reconnaissance et aurait tiré sur eux quatre coup de fusils. Il aurait, de plus, avoué avoir mis le feu à Montfaucon. Les deux soldats ont arrêté l'individu sur la route d'Avocourt à la ferme de Bertrancey.
Interrogé, l'individu dit s'appeler Jacques AMET, demeurant à Dannevoux et étant né à Montfaucon. Jacques AMET raconte : "Avant-hier, le 2 courant, vers une heure du matin, j'ai mis le feu à la commune de Montfaucon pour donner un signal aux Allemands qui ont aussitôt tiré des coups de canons sur cette commune. Depuis trois ans, j'ai reçu environ 1 000 francs en plusieurs fois des Allemands". Nous voilà rassurés… la guerre n'a débuté qu'il y a quelques jours. Ce Jacques paraît confus !
La prévôté relève son signalement : 1,68 m, cheveux et sourcils châtains, yeux gris, nez fort, bouche moyenne, visage carré.
Le même jour, comment ? pourquoi ? Bref, notre Jacques s'appelle soudain Camille MARCHAND. Le Rapporteur du Conseil de Guerre de la 40ème Division d'Infanterie conclut : "il s'est rendu coupable le 2 septembre courant d'avoir mis le feu à la commune de Montfaucon, le 3 septembre, d'avoir conduit des officiers allemands et d'avoir tiré sur trois militaires français [tient, quelques heures avant, ils n'étaient que deux]". Le soldat MINOFFLET, témoin, déclare avoir vu arrivé la voiture où se trouvaient deux officiers uhlans et un civil, que lui s'est mis d'un côté de la route, et que son camarade s'est mis de l'autre côté et qu'ils ont tiré sur les habitants de la voiture. Le civil a pris un fusil et a tiré dans leur direction. C'est son camarade DALVECCHIO qui s'est jeté sur lui et l'a désarmé. Ils l'ont ensuite ramené à la ferme où ils ont réquisitionné une voiture pour l'emmener devant la prévôté de la 40ème D.I.
La déposition de DALVECCHIO apporte d'autres précisions. Ils étaient bien trois, MINOFLET, DERMARQUE et lui, lorsqu'il a aperçu une voiture à deux roues conduite par un civil. A sa droite se trouvait un capitaine uhlan et à sa gauche un lieutenant. Lorsque les Allemands ont aperçu les soldats français, ils ont jeté le civil, avec un fusil et deux baïonnettes, hors de la charrette. L'individu à terre a tiré sur MINOFLET et DERMARQUE, pendant que lui, DALVECCHIO, le saisissait. La suite de la déposition est la même que celle du soldat MINOFLET.
Les soldats ont essayé de faire parler Jean Camille alias Jacques. En chemin, il prononçait le mot "Montfaucon", comme ils lui demandaient la raison de ces propos, Jean Camille leur parla de l'incendie qui avait eu lieu dans ce village, puis s'accusa de l'avoir provoqué. Il parlait par mono syllabes en entrecoupant son discours de "Je ne sais pas causer, …".
Le Commissaire rapporteur a interrogé Jean Camille en présence de l'Aide-Major GAMBLIN, médecin de l'hospice des arriérés de Fruges, dans le Pas-de-Calais, et ce dernier émit l'opinion que Jean Camille alias Jacques est un "dégénéré dont le service d'espion allemand se serait servi à défaut de gens plus intéressants dans la région".
Cependant, et malgré cet état de déficience mentale évident, ce sont les circonstances de la guerre qui vont primer sur la décision : Jean Camille doit subir un interrogatoire avant de passer en jugement. Il est interrogé le lendemain, 5 septembre. Pour autant, il n'est pas plus cohérent dans ses propos. Il prétend et persiste dans ses propos "Il a allumé le feu à Montfaucon sans qu'on lui demande – Il n'a pas de voiture – Il ne connaissait pas les Allemands – Il n'a pas été jeté au bas de la voiture – J'ai tiré deux fois sur deux soldats parce que j'ai eu peur d'eux – J'ai tiré parce que les autres m'ont dit de le faire – Je les ai rencontré à Montfaucon – Je les connaissais avant la guerre – J'ai reçu de l'argent trois fois – Je n'ai pas tiré sur les soldats – La roue de la voiture m'a fait mal – Je n'ai pas mis le feu". Jean Camille ne signe pas ses aveux car il ne sait pas le faire.
Des habitants de Dannevoux ont reconnu Jean Camille MARCHAND et ont dit qu'il était "idiot". Le secrétariat de la mairie de Malancourt demande que des recherches soient faites avant de statuer sur le cas de ce pauvre malheureux. Le Conseil de Guerre de la 40ème Division reste intraitable : Jean Camille MARCHAND est condamné à la peine de mort pour avoir été rencontré dans une voiture avec deux officiers et avoir tiré sur deux soldats français !
C'est donc le 21 septembre 1914 à 8 heures du matin que Jean Camille MARCHAND est emmené à Eix, dans un terrain près du cimetière. Aussitôt après la lecture du jugement, le piquet d'exécution fait feu…
La Guerre est à peine commencée ! Le civil incriminé, Jean Camille MARCHAND ne nécessitait que des soins appropriés à son état ! Mais la médecin ne s'inquiétait pas encore de ces personnes "différentes"…