Challenge Upro-G:Paul Eugène LABELLE, un bagnard…
Vous souvenez-vous de Claude LABELLE qui a dû élever ses plus jeunes enfants étant veuf ? S'il a bien réussi avec certains, il n'y est pas arrivé avec le petit dernier Paul !
Paul Eugène LABELLE, le dernier enfant de Claude, est âgé de 9 ans lorsqu'il est arrêté pour vol. Traduit devant le Tribunal de Beaune, le 27 janvier 1883, il reçoit une sentence implacable : "placé en correction jusque l'âge de 20 ans accomplis". L'article 66 du Code pénal instauré par la loi du 13 février 1810 est très clair "Lorsque l'accusé aura moins de seize ans, et s'il est décidé qu'il a agi sans discernement, il sera acquitté. Mais il sera, selon les circonstances, remis à ses parents ou conduit dans une maison de correction, pour y être élevé et détenu pendant tel nombre d'années que le jugement déterminera, et qui, toutefois, ne pourra excéder l'époque où il aura accompli sa vingtième année".
Paul Eugène étant orphelin de mère est donc retiré à la charge de son père et emprisonné au Bagne [Maison de correction, colonie, peu importe le nom] de Montlobre, commune de Vailhauquès, dans l'Hérault. Il arrive sur place le 23 mars 1883. Imaginez ce petit garçon mesurant 1,20 m, les cheveux châtains, les yeux marrons, vêtu d'habits jugés "hors d'usage". Il a une marque sur la pommette de la joue droite : souvenir de "bagarres de rue" ?
Il arrive donc dans cette maison qui devrait être la sienne jusqu'à ses 21 ans ! Nombreux sont les enfants incarcérés : de six à 20 ans… Ils y travaillent la terre, vignes, jardins potagers ou fruitiers : il faut bien les mâter ces délinquants : aucune pitié. En 1883, la colonie est dirigée par M. Charles FAGOUT, âgé de 54 ans. Il vit là avec son épouse, Eugénie, 34 ans, et ses trois enfants, Jeanne, 16 ans, Auguste, 13 ans, et Cécile, 7 ans. L'aumônier est le père Louis GOUZES, 35 ans. Pour surveiller tous ces garnements, le bagne compte huit gardiens, le plus jeune, 30 ans, le plus âgé, 50.
Il est certain que le but premier de ces centres pénitentiaires privés est que ces garçons mineurs détenus servent de main-d'œuvre bon marché. D'ailleurs, l'état ne s'en cache pas ! Dans l'édition du Journal Officiel du 7 août 1876, le rapport fait au nom de la commission du budget sur le budget des dépenses de l'exercice 1877, M. PARENT, député, précise bien la destinée des jeunes détenus : "Quant aux établissements privés des jeunes détenus, le prix de la journée qui leur est alloué doit couvrir les frais d'entretien des enfants, les dépenses du personnel, d'administration, de garde, d'enseignement, etc. ainsi que l'entretien des bâtiments. Par contre, les propriétaires de ces établissement profitent, comme les entrepreneurs, de tous les produits et, en outre, de la plus-value qu'une main d'œuvre peu coûteuse donne à leurs immeubles."
Paul Eugène n'est donc qu'un employé comme un autre, jeune, très jeune, trop jeune. Peu importe la façon dont ils seront traités ! Les établissements privés sont assurés d'avoir des revenus importants tant qu'ils ont cette main d'œuvre qui n'osera pas contester les sévices, corporels ou moraux, le manque d'entretien, etc. Si l'état et ses représentants siègent à Paris, le département du Var est administré par un préfet, qui, visiblement, fait correctement son travail. Les conditions sont telles que le Préfet demande et obtient la fermeture du bagne de Montlobre en 1884. Paul Eugène est alors âgé de 11 ans et est transféré au convent Saint-Joseph à Frasne-le-Château, en Haute-Saône. Le couvent est tenu par des religieuses.
Paul Eugène serait resté dans ce couvent jusqu'à ses vingt ans. La vie s'est donc écoulée entre le dortoir, le réfectoire, la chapelle, et… le travail…
20 ans ! Paul Eugène rentre chez lui, enfin, dans son département. Son père, Claude, habite à environ 28 kilomètres, à Labergement-lès-Seurre. Il réside à Chaux, proche de Nuits-Saint-Georges, lorsqu'il est recensé pour le service militaire. Il a grandi : 1,58 m. Il n'est plus question de la marque qu'il portait à la joue droite. Le couvent lui a donné de bonnes bases : il sait lire, écrire et compter et il est exercé en instruction militaire. Rien d'étonnant ! Il rejoint le 56ème Régiment d'Infanterie le 15 novembre 1894 et rentre dans ses foyers le 21 mars 1897 avec le certificat de bonne conduite.
Le 3 février 1900, à Auvillars-sur-Saône, Paul Eugène, carrier, épouse Marie RATHEAU, 19 ans, domestique. Les relations père/fils existe : Claude, le père, est présent à la cérémonie. Le mariage est de courte durée, le divorce aurait été prononcé le 7 août de la même année. Paul Eugène, employé de gare, réside depuis déjà un mois à Tonnay-Charente, en Charente-Maritime. Il se remarie avec Angélina DIDIER, née le 8 mars 1875 à Ars, en Charente. Quand et où a lieu l'union ?... Seul document publié sur la toile, le recensement de la commune de Nieulle-sur-Seudre en 1906.
Veuf ? Divorcé ? Qu'est-il arrivé à Angélina DIDIER ? Pas d'archives trouvées en ligne. Paul Eugène réapparaît à Saint-Sornin, en Charente-Maritime, sur les recensements de 1926. Il est marié à Léontine Clémence VIGNAUD, née le 20 octobre 1898 à Angoulême, Charente. Le couple est parent de quatre enfants, tous nés dans la commune de Saint-Sornin : André, en 1918, Paulette, en 1920, Pierrette, en 1922 et Félix en 1925.
Deux autres enfants viendront agrandir cette fratrie : Claude, en 1932, et Robert, en 1935.
La vie s'écoule à Saint-Sornin. Paul Eugène LABELLE décède à La Rochelle, le 29 octobre 1945, alors âgé de 72 ans.
Dans le cas de Paul Eugène LABELLE, il semblerait qu'il ait eu de la "chance" : certes, il a été incarcéré dans des conditions difficiles, mais il a reçu une éducation, une instruction, qu'il n'aurait peut-être pas pu avoir s'il était resté auprès de son père… Je reste, bien sûr, dans le conditionnel…