Les brebis galeuses dans les familles…
Nous avons tous une brebis galeuse… Celle avec qui nous aimerions ne pas être en famille… de près… comme de loin. Mais c'est ainsi ! Il faudrait essayer de savoir pourquoi cette personne, petit être venu au monde qui a bien grandi, est devenu la "honte" de la famille…
Action plus facile à penser qu'à réaliser. D'autant que, souvent, les témoins ne sont plus là pour nous raconter. Nous n'avons plus que les souvenirs transmis de génération en génération ou bien encore des documents : jugements, articles de journaux, bref, les "on-dits" et non pas la personne concernée.
Travaillant beaucoup sur le thème de la Guerre 1914-1918, je m'intéresse aux dossiers des fusillés de cette Guerre. Alors, de temps en temps, je "navigue" sur le site de Mémoire des Hommes à la recherche, peut-être d'un ancêtre…
Je tape aléatoirement ce que je recherche. Cette fois-ci, j'ai saisi la commune : Vailly-sur-Aisne, commune de mes grands-parents paternels. Surprise ?... Un HIRSON !
Je vais donc plus en avant, que diable a-t-il pu faire pour être fusillé ? Je commence par aller voir sa fiche matricule, n° 900, du bureau de recrutement de Soissons, classe 1898. De petite taille, de faible constitution, il est tout d'abord "ajourné" pour le service militaire, puis il est "versé" dans le service auxiliaire en 1901. L'ultime note enregistrée sur sa fiche est la date de son décès : 23 novembre 1914 à Villers-Cotterêts (02). Etonnant, aucun régiment noté, aucun rappel quant à l'ordre de Mobilisation, aucune adresse enregistrée… 36 ans, c'est son âge au début de la Guerre, en août. Pourquoi donc n'a-t-il pas été rappelé ? Pourquoi a-t-il été fusillé ?
La réponse à la première question est simple : Vailly a été occupée par les Allemands dès le début des hostilités et toute personne, homme ou femme, pouvant être utilisée comme ouvrier(ère) était faite prisonnière. Ce n'est qu'après le départ des troupes allemandes que les hommes, en âge de pouvoir faire la guerre, ont été rappelés. Ernest fait partie de ces hommes-là. Cependant, il n'est pas réquisitionné par les Allemands. En effet, il s'est débarrassé de son livret militaire – à ses dires devant la Justice militaire – afin de ne pas être fait prisonnier.
C'est le mois d'octobre 1914, Ernest, appelé Nénès par les vayllisiens, habite dans une roulotte qui lui a été "léguée" par M. MINOUFLET, aujourd'hui décédé. Il vit de petits boulots. Au mois d'août, il a travaillé à ramasser les meules, avec son frère, Louis, âgé de cinquante-quatre ans. Le travail est payé 5 fr. par jour. Depuis ? Il ne travaille pas ! Son statut de célibataire lui permet d'avoir peu de dépenses. Il lui reste même des économies de son travail la saison dernière à la sucrerie de Vailly, c'est dire… Pas de frais de logement… Donc, pour lui, tout va bien ! Sauf que… les obus tombent de plus en plus autour de sa roulotte, il se réfugie chez Mme FOURNEAU et ses enfants. Elle est seule et se sentirait en sécurité. Il dort dans la cave et est nourri. Cependant, le matin du 16 octobre, elle l'a congédié : "Il est trop peu complaisant avec les soldats français." Qu'à cela ne tienne, il part s'installer chez Mme DUMONT, elle aussi avec des enfants. Il ne reste donc que les nuits des 17 et 18 octobre, puisque, ensuite, il est arrêté.
La situation militaire de Vailly est particulière, la commune est occupée par les troupes allemandes. Il n'empêche que M. CADOT, héberge un Etat-Major anglais dans sa maison, située à quelques 150 mètres de l'église. Actuellement, les troupes anglaises occupent le bois de Chassemy. Pendant que les militaires œuvrent à la libération de Vailly pour les Anglais, à l'occupation de Vailly pour les Allemands, les habitants se retrouvent dans les caves et discutent. C'est ce que fait Ernest ! Il a contacté M. BOURBARON afin qu'il lui procure des chambres à air pour réparer son vélo, au cas où il devrait quitter le village. Ce dernier est salarié de la caoutchouterie Wolber, de Vailly. Caoutchouterie ouverte à tous vent par les Allemands ; M. BOMBARON signalera au contremaître "l'emprunt" de ces deux chambres à air.
Mais voilà, le 6 octobre, Louis HARLÉ, prisonnier allemand, utilisé à des travaux dans les tranchées. Il a vu arriver Nénès qui s'est tout de suite adressé aux soldats allemands. Seules des femmes, travaillant dans la tranchée, les séparaient. Il a clairement entendu l'échange oral entre les hommes, voici ce que dit sa déposition : "Un officier allemand parlant correctement le français a abordé HIRSON et lui a parlé en ces termes "Et bien quoi ! Les nouvelles sont bonnes ?" HIRSON a répondu "Les Anglais font des tranchées dans le bois de Chassemy. La lisière de ce bois est bordée de réseaux de fils de fer. Vous ne pourriez passer que par le Chemin Vert. L'Etat-Major anglais est changé, il est dans la maison de M. CADOT, à 150 mètres, environ, derrière l'église". Là-dessus, HIRSON est reparti. Je ne l'ai vu que ce jour-là."
Lors d'une perquisition à son domicile, la roulotte, Ernest est en possession d'une grosse somme d'argent, 200 fr., dont il ne peut exactement donnée l'origine, hormis ses économies.
Les témoignages de sa sœur, Elise, sa nièce, Eugénie, et de son frère, Louis, sont accablants. Ils sont tous unanimes à dire qu'il ne travaillait pas et ne pouvait donc avoir une telle somme. De là à penser qu'il vit des renseignements qu'il communique aux Allemands…
Il est donc reconnu, par la Justice Militaire, le 22 novembre 1914, coupable d'intelligences avec l'ennemi afin de favoriser ses entreprises. En un mot, il est reconnu coupable d'espionnage sur le seul témoignage du jeune HARLÉ. Ernest HIRSON était inconnu des services de justice jusqu'à ce jour, 6 octobre 1914.
Ernest Louis HIRSON est donc fusillé, le 23 novembre 1914, dans le parc du château de Villers-Cotterêts.
Qui était Ernest HIRSON ? Un homme sûrement en marge de la société ! Ne travaillant que lorsque le besoin se faisait sentir. Dans sa roulotte, solitaire, il n'avait besoin de rien ! A-t-il vraiment "vendu" les informations par nécessité financière ? Ou, plutôt, a-t-il simplement répondu à une question ? Ce qui est sûr et qui pose problème est le fait qu'il soit en contact avec les troupes Allemandes, aux dires d'un seul témoin, il est vrai !
Alors, nous, tous, nous mettons en avant le fait d'avoir un Mort pour la France dans notre famille. Oserions-nous mettre en avant un espion, un traitre à la Patrie. Pouvons-nous, librement, parler de ce personnage ? Je pense que oui. Un siècle s'est écoulé, il est possible de pardonner. Oublier ? Certes non, les faits de bravoure comme les faits de bassesse ne peuvent s'oublier. Mais il est temps, en 2017, de tourner la page et de parler de TOUS !